Radio Odyssée La Radio qui rassemble ceux qui se ressemblent
Le goût des mots
Mon abrégé…
Dernier jour de classe. Plusieurs souvenirs lointains remontent dans mon esprit sans grand plaisir. Au primaire, l’école était une torture de chaque jour. En France, j’ai redoublé les classes de onzième et de huitième. Au secondaire, je travaillais trois fois plus que les autres pour arriver à un résultat médiocre. Je n’étais ni soulagée, ni heureuse à la fin de l’année scolaire, seulement honteuse de ne pas être au même niveau que les autres.
À 15 ans, grand déménagement au Canada, à Ottawa. Pire. Tout le monde parlait l’anglais, sauf moi. J’étais encore plus à la traîne. Une chance en français, j’ai été choisie pour interpréter le rôle de Dorine dans la pièce : Tartufe de Molière. Sublime révélation ! J’adore. Je vis. Je m’exprime. Le public rit. L’année suivante, je fuguais, travaillais et faisais partie d’une troupe de théâtre amateur. À la suite de fortes pressions familiales, je réintégrais et la maison et changeais le lycée pour un collège.
Finalement, je retournais en France terminer mes études pour décrocher mon Baccalauréat de l’enseignement du second degré, équivalent au DEC. J’ai réussi en faisant deux années en une : j’ai obtenu mon diplôme, quelle fierté, quelle joie !
Aujourd’hui, quarante ans plus tard, consécutivement aux effets secondaires de la crise sanitaire, j’ai perdu mon emploi, je me retrouve à suivre des cours en rédaction professionnelle à l’Université de Montréal. J’étudie avec bonheur. Quel beau parcours pour une personne étant atteinte de dyslexie-dysorthographie !
À l’heure actuelle, je suis celle qui corrige, révise, revampe les écrits des auteurs du magazine La VIE. Telle une couturière, une tisseuse, une brodeuse, je suis à la recherche du mot juste…etc. J’apprends jour après jour de nouvelles manières d’écrire, des effets de style…avec délice.
Je me propose de vous en apprendre quelques-unes…
Cette langue française est si riche qu’elle saura vous surprendre et j’espère vous donner le goût de la lire, de l’écrire…et bien entendu de l’aimer.
L’art du français
On trouvera des écrivain(e)s qu’on aime mieux, qui sont plus fracturés, plus vivants ; mais si l’on parle perfection, et style…
«Il en arrivait à ne pas vouloir que les mêmes syllabes se rencontrassent dans une phrase ; souvent, une lettre l’agaçait, il cherchait des termes où elle ne fut pas ; ou bien il avait besoin d’un certain nombre de r, pour donner du roulement à la période. Il n’écrivait pas pour les yeux, pour le lecteur qui lit du regard au coin de son feu ; il écrivait pour le lecteur qui déclame, qui lance les phrases à voix haute ; et même tout son système de travail se trouvait là.
Pour éprouver ses phrases, il les “gueulait” lui-même, seul à sa table et il n’en était content que lorsqu’elles avaient passé par son “gueuloir”, avec la musique qu’il leur voulait».
Zola évoque ainsi Gustave Flaubert, l’homme qui suait du sang sur ses virgules.
«La ponctuation prenait une importance capitale. Il voulait le mouvement, la couleur, la musique, et tout cela avec ces mots inertes du dictionnaire qu’il devait faire vivre.»
Le Mauvais Chasseur se contente de s’asseoir à heure fixe devant sa machine à écrire, et il a l’impression qu’il travaille parce qu’il tape ; le Bon Chasseur pense avant d’écrire, et pendant, et après !
«Puis, l’impression de son livre était toute une grosse affaire. Il se montrait extrêmement difficile pour le choix d’une imprimerie, déclarant que pas un imprimeur de Paris n’avait de la bonne encre. La question du papier aussi le préoccupait fort ; il voulait qu’on lui montrât des échantillons, il élevait toutes sortes de difficultés, très inquiet également de la couleur, de la couverture et rêvant même parfois des formats inusités. Ensuite, il choisissait lui-même le caractère.»
(…) Je veux pourtant ajouter que ce désir de la perfection a été, chez le romancier, une véritable maladie, qui l’épuisait et l’immobilisait».
Flaubert met de la beauté dans la fadeur.
C’était un temps où les Lettres de France abondaient en Bons Gros Géants. Dumas, Balzac… les tyrannosaures se bousculaient dans ce parc-là. Mais après les dérapages de Zola, la boulimie narrative d’Alexandre, l’adornerie balzacienne, les cymbales retentissantes du Père Hugo, le style tout en nerfs de Stendhal… Flaubert est comme un soir au bord du lac de montagne ; clair, froid, reposant, et aussi proche de l’éternel qu’on peut l’être.
Dans des chaises de poste, sous des stores de soie bleue, on monte au pas des routes escarpées, écoutant la chanson du postillon, qui se répète dans la montagne avec les clochettes des chèvres et le bruit sourd de la cascade. Quand le soleil se couche, on respire au bord des golfes le parfum des citronniers ; puis, le soir, sur la terrasse des villas, seuls et les doigts confondus, on regarde les étoiles en faisant des projets. Il lui semblait que certains lieux sur la terre devaient produire du bonheur, comme une plante particulière au sol et part.
(Madame Bovary)
Le Gugu (1821–1880)
Christine Harmant et Thomas Labat
Écrit par: Christine Harmant
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